samedi 5 juillet 2014

4-DANIEL, BEL ET LE DRAGON (Dn.14) (2)



Sarcophage (détail), Vatican, Museo Pio Cristiano, Lat. 179, n° 31536, vers 350.




LES ŒUVRES PALÉOCHRÉTIENNES 

Les œuvres paléochrétiennes recensées, une quarantaine environ, datent au plus tôt et pour la plupart du IV° siècle (vers 320-420) et sont des œuvres funéraires localisées en Italie, France, Espagne et Afrique du Nord.

DANIEL ET BEL
L’épisode de Daniel et Bel ne semble pas avoir été représenté. Il pourrait être évoqué cependant dans les scènes où Daniel empoisonne le Serpent  par la seule présence d’une colonnette ou d’un pilier (sur huit sarcophages et un verre doré), d’un autel renversé (sarcophages de Saint-Sébastien de Rome et du musée du Latran) ou d’un temple (sarcophages de Grozon, de Malpasso et de Vérone).  L’idole de Bel n’est certes jamais représentée et l’autel peut être tout autant celui du Serpent que celui de Bel mais il reste néanmoins probable que les scènes évoquées synthétisent les deux épisodes.


Couvercle de sarcophage (détail), Vatican, musée du Latran, Lat. 136, IV° siècle. 



DANIEL ET LE SERPENT
La scène de Daniel empoisonnant le Serpent semble, pour sa part, avoir été très souvent illustrée. Elle est représentée sur une vingtaine de sarcophages (cuve ou couvercle) dans un décor en  frise continue ou bien rythmée d’arbres ou de colonnettes, parmi d’autres scènes tirées des deux Testaments et est le plus souvent située à l’une des extrémités de la frise. Elle se retrouve sur le coffret-reliquaire en ivoire de Brescia et orne près d’une dizaine de verres dorés gravés retrouvés dans des sépultures (scène du fragment d’assiette du British Museum de Londres, IV° s. ; scène accompagnée de Daniel entre les lions, de Suzanne et les vieillards et du Péché originel sur la coupe d’Homblières du musée du Louvre).


Coffret-reliquaire (lipsanoteca eburnea), ivoire, Brescia, museo cristiano, vers 370.


Coupe en verre gravé, trouvée à Homblières (Aisne), près d'Abbeville, vers 350-360, conservée au Musée du Louvre.


Dans ce contexte funéraire, la scène de Daniel empoisonnant le Serpent, comme les autres scènes qui l’accostent (Daniel entre les lions, Histoire de Jonas, Résurrection de Lazare…), participe de la victoire sur le mal et évoque la rédemption et la résurrection. Par le geste de la boule qu’il tend de la main droite, Daniel rend ainsi la pareille au serpent de la scène du Péché originel parfois représentée en parallèle (coupe d’Homblières, sarcophage d’Arles n° 27 et sarcophage du Latran) et devient un Nouvel Adam, une préfigure du Christ et du chrétien triomphant du démon et de la mort. Ce même geste, à côté de scènes comme le Miracle de Cana ou celui de la Multiplication des pains et des poissons, évoque de plus le caractère sacrificiel de l’eucharistie et son instauration.

Dans ces œuvres, Daniel est le plus souvent représenté accompagné du roi et plus rarement du Christ-Logos (coupe du British Museum et sarcophage de Malpasso). Le prophète se tient généralement de face (exceptionnellement de dos sur le sarcophage de Pretextato). Imberbe, il tourne sa tête nue et dépourvue de nimbe vers le serpent. Il est le plus souvent vêtu, à la romaine, d’une tunique longue et d’un pallium et chaussé de sandales mais est parfois vêtu à la mode persane, avec une tunique courte, des pantalons longs et étroits resserrés aux chevilles et un manteau (coupes du British Museum et d’Homblières). Il tient parfois, de la main gauche, un pan de son manteau ou bien le rouleau de la Loi.

Le serpent se tient indifféremment à la droite ou à la gauche du prophète et s’enroule souvent autour d’un tronc d’arbre comme le serpent du Péché originel autour de l’Arbre de la Connaissance. Il se dresse parfois devant un temple comme nous l’avons vu, ou bien devant une colonnette ou un pilier servant d’autel ; sur cet autel brûle alors une flamme de célébration de son culte (sarcophage du musée d’Arles, n° 10, sarcophage de San Giovanni in Valle de Vérone) ou bien reposent les offrandes ou les pains empoisonnés  (sarcophage de Saint-Trophime d’Arles)


Sarcophage (détail), Vérone, San Giovanni in Valle, IV° s.


Le serpent saisit de sa gueule et mange l’une des boules tendues par Daniel, s’affaisse ou, plus rarement, gît déjà mort sur le sol (sarcophage du musée d’Arles, n° 10). Son corps plus ou moins long et épais, peut adopter une tête de basilic (roi des serpents) couronnée d’une crête (coupe du British Museum, sarcophages de Mantoue, de la Villa Doria Pamphili et du Latran).


Sarcophage (détail), cathédrale de Mantoue, fin IV°-début V° s.


Sur les médaillons circulaires en verre doré de petites dimensions, Daniel, le plus souvent seul, se détache sur un fond orné de végétaux, portant une grosse boule de pain destinée au serpent d’un médaillon voisin (Città del Vaticano, Biblioteca, Museo Sacro ; Londres, British Museum ; Oxford, Pusey House).


Médaillon en verre doré gravé, Londres, British Museum.


Ces sculptures et gravures s’inspirent peut-être de cycles narratifs de la Bible ornant des manuscrits aujourd’hui disparus ; les scènes semblent cependant absentes de la peinture monumentale et de la mosaïque de cette époque.

Les thèmes se maintiennent certainement après le IV° siècle, en particulier dans les territoires marqués par l’empreinte des œuvres romaines, mais se font plus rares : une amulette syrienne du V° siècle (?) (provenant de Palestine ?) semble cependant montrer la scène de Daniel empoisonnant le Serpent (Kelsey Museum, Ann Arbor, Michigan), affirmant la fidélité à Dieu, le refus de l’idolâtrie et du péché et protégeant du mal et de la mort.


Amulette syrienne conservée au Kelsey Museum, Ann Arbor, Michigan, n° 26125.

Une pyxide en ivoire du VI° siècle, de style byzantin (provenant de Moggio Udinese, conservée à Washington, Dumbarton Oaks Collection), présente successivement, pour sa part, un grand aigle aux ailes éployées (image de la parole et de la justice divines), Moïse recevant la Loi accompagné d’Aaron et ses fils, Daniel dans la fosse aux lions (bras levés entre deux tours circulaires et deux lions adossés dont les gueules sont fermées par deux anges symétriques), et enfin l’épisode de Bel et du Serpent, avec le serpent tête basse, vomissant et agonisant, enlacé autour d’une colonnette torse portant l’idole de Bel. 


Pyxide polychrome en ivoire (détail), provenant de Moggio Udinese, Syrie (?), VI° siècle, Washington, Dumbarton Oaks.


Cette œuvre mérite une attention toute particulière car elle évoque la puissance de Dieu qui sauve le chrétien de la mort mais détruit ses ennemis et elle identifie nettement le lien entre les épisodes de Daniel et le pain eucharistique traditionnellement contenu dans la pyxide. C’est de plus la première et unique œuvre connue qui représente tout à la fois le serpent enlacé autour d’une colonnette et l’idole du dieu Bel reposant sur cette même colonnette, reliant clairement les deux épisodes et le deux divinités. Le dieu Bel adopte ici une forme humaine (à la tête animale ou monstrueuse ?) et se tient debout, tenant un objet non identifiable de la main gauche et une lance de la droite, attribut traditionnel de la divinité babylonienne.


En dehors de la scène de Daniel dans la fosse aux lions qui reste courante, aucune œuvre conservée ne témoigne plus de la permanence des thèmes entre le VII° et le X° siècle.



LISTE DES ŒUVRES PALÉOCHRÉTIENNES
RECENSÉES


SARCOPHAGES (FRANCE)
9 sarcophages : 5 à Arles  (1, musée n° 19,  vers 330-340 ; 1, dit de Jonas, musée n° 27, vers  330-340 ; 1 de l’église Saint-Trophime, provenant de l’église Saint-Honorat aux Alyscamps, vers 350 ; 1, dit eucharistique ou de Sainte-Dorothée, musée n° 10, fin du IV° s. ; et un fragment isolé, IV° s.) ; 1 au musée de Narbonne ; 1 sarcophage de Balazuc (Ardèche) au musée de Lyon ; 1 sarcophage du château de Grozon (Ardèche) (collection R.Giraud) ; 1 à Bédoin (Vaucluse), chapelle Sainte-Madeleine.

SARCOPHAGES (ITALIE)
12 sarcophages : 9 à Rome  (1 au musée Pio Cristiano Vaticano,  Lat. 179, Inv. N° 31536, vers 350 ; 1 à Saint-Pierre du Vatican, museo Delle Grotte, sarcophage dit des Trois monogrammes (vers 320-330)  ; 1 à San Lorenzo extr. ; 1 fragment à la Villa Doria Pamphili ; 1 au musée du Latran, Vatican, couvercle, Lat. 136  ; 1 d’Aguzzano, au Museo Nazionale Romano, Inv. N° 113247, vers 325-350 (scène très partielle) ; 1 de Malpasso, Museo Nazionale Romano ; Roma, San Sebastiano ; Roma, cimetière Pretextato) ; 1 à Civita Castellana, Palazzo vescovile (Episcopio, sarcophage C), vers 350-380 ; 1 à la cathédrale de Mantoue, fin IV°- début V° s. ; 1 à Vérone, San Giovanni in Valle.

SARCOPHAGES (ESPAGNE)
1 sarcophage : 1 fragment de sarcophage de Tarragona, museo paleocristiano, n° 466, fin du IV° s. 

SARCOPHAGES (ALGÉRIE) 
1 sarcophage : 1 au musée Stéphane Gsell d’Alger (sarcophage C, de Dellys, Numidie, vers 345-370).

COFFRET (ITALIE)
1 Coffret-reliquaire du IV° s. en ivoire (lipsanoteca eburnea) au museo cristiano de Brescia, vers 370.

PYXIDE (U.S.A.)
1 pyxide en ivoire du VI° s., originellement polychrome,  provenant de Moggio Udinese et conservée à Washington, Dumbarton Oaks Collection.

VAISSELLE FUNÉRAIRE-VERRES DORÉS (FRANCE)
1 coupe (trouvée à Homblières près d’Abbeville, Aisne), vers 350-360 : musée du Louvre.

VAISSELLE FUNÉRAIRE-VERRES DORÉS (ITALIE)
3 médaillons : Città del Vaticano, Biblioteca, Museo Sacro.

VAISSELLE FUNÉRAIRE-VERRES DORÉS (ESPAGNE)
1 fragment de bol gravé (importé d'Italie), trouvé dans les fouilles de la plaza de la Almoina de Valencia, fin IV-début V° s.

VAISSELLE FUNÉRAIRE-VERRES DORÉS (GRANDE-BRETAGNE)
1 fragment d’assiette  et un médaillon : British Museum de Londres.
3 médaillons : Oxford, Pusey House.

AMULETTES (GRANDE-BRETAGNE)
1 amulette d’origine palestinienne du V° s., citée sans référence ni image, Oxford, Classical Art Research Centre and the Bearzley Archive.

AMULETTES (U.S.A.)
1 amulette syrienne (Kelsey Museum, Ann Arbor, Michigan, n° 26125), non datée.



BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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- BENOÎT (Fernand), Sarcophages paléochrétiens d’Arles et de Marseille, CNRS, Gallia, Supplément 5, Paris, 1954.
- Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de liturgie, (sous la direction successive de CABROL Fernand, LECLERQ Henri, MARROU Henri-Irénée), 30 volumes,  1907-1953 (articles sur : Daniel T IV-1, Catacombes TII-2 et Sarcophage T XV-1).
- Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, tome I, A-I, Le Cerf, 1990 (Daniel p 623-625).
- Lexikon der Christlichen Ikonographie, (H.SCHLOSSER dir.), ed. Herder, Rom- Freiburg- Basel-Wien, T I 1968 (de A à Ezechiel), „Daniel“, col. 469-473, „Drache“, col. 521.
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- MOREY (Charles Rufus), FERRARI (Guy), The gold-glass collection of the Vatican Library with additional catalogues of other gold-Glass collections, Città del Vaticano, Biblioteca apostolica vaticana, 1959 (verres dorés : Vaticano, Biblioteca, Museo Sacro, pl. XXI, fig. 150-152 ; Londres, British Museum, pl. XXX, fig. 322 et 345 ; Oxford, Pusey House, pl. XXXII, fig. 371, 374 et 381).
- RÉAU (Louis), « Prophètes légendaires : Daniel », Iconographie de l’art chrétien, T II/1, 1956 p 390-410.
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- STOMMEL (Eduard), Beiträge zur Ikonographie der Konstantinen Sarcophagplastik, Theophania 10, P. Hanstein Verlag, Bonn 1954.
- TESTINI (Pasquale), « Il simbolismo degli animali nell’arte figurativa paleocristiana », L’uomo di fronte al mondo animale nell’alto medioevo, 7-13 aprile 1983, Presso La Sede Del Centro, Spolelo, T II, 1985 p 1107-1168 (Daniel et le dragon p 1141, 1150-1156 et pl. XXV,33).
- WILPERT (Giuseppe),  I sarcofagi cristiani antichi, 3 tomes en 5 volumes, Pontificio Istituto di Archeologia Cristiana, Rome, 1929-1936.




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